mardi 22 mars 2011

L'objet d'étude des sciences cognitives

Les Sciences Cognitives, par une approche fondamentalement interdisciplinaire, traitent de la cognition. Ce domaine de recherche immense voit en son sein diverses thématiques d’étude.
Ainsi bien que les sciences cognitives ne comprennent qu’un seul réel objet d’étude qui d’une certaine manière unie toute sa communauté - la Cognition - le quotidien des Sciences Cognitives s’articulent autour de plusieurs grandes thématiques. Pour cette raison, et sans compter qu’établir une définition effcace du terme cognition est délicate (bien que nous nous soyons essayé à le faire dans notre page de définition des Sciences Cognitives), il apparaît plus pertinent (dans le cadre de ce site web) de s’attacher à définir quelques thématiques pour bien aborder et saisir la nature de ce domaine scientifique.
Cette articulation permet de rendre efficace l’approche interdisciplinaire d’un objet à la complexité et à la dimension majeure. Sans cette approche thématisée, il est probable que serait difficile à réaliser le défi de l’interdisciplinarité, déjà non aisé, que se donnent les sciences cognitives C’est cette approche thématisée bien que segmentant un objet à l’unité et à la cohérence incontestable, est donc du lot des Sciences Cognitives.
Bien entendu, dur labeur est à prévoir, et peut-être à anticiper, pour s’attacher à développer des modèles qui outre leur fondement transdisciplinaire, en auront un global, transthématique.
Bien que ce léger aperçu n’apparaisse pas comme exhaustive, elle correspond toutefois aux champs les plus investis par la recherche fondamentale en Sciences Cognitives. Quand à la qualité des définitions données, si elles vous apparaissent perfectibles - ce n’est pas impossible loin en est - le forum attaché à cet article vous donnera tout loisir de nous aider à les améliorer.

Les thématiques abordées par les Sciences Cognitives

  • La perception

« Fonctions et mécanismes au moyen desquels un organisme prend connaissance du monde et de lui-même à partir des données de ses sens. » (Claude Bonnet, professeur à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg)
La question à laquelle les Sciences Cognitives essaient ici de répondre est comment notre système nerveux construit des représentations du milieu extérieur immédiat.
En des termes plus simples, il s’agit d’essayer de comprendre comment notre organisme traite les informations extérieures telles que les odeurs (olfaction), les scènes visuelles (vision), les surfaces et textures (toucher), les sons (audition), la position de notre corps (proprioception), etc. Il s’agit donc de dire comment ces éléments sont transformés en message nerveux par les récepteurs sensoriels, décrire cet encodage, et décrire comment cette information est traitée par le corps (par le système nerveux en fait) afin que nous puissions nous faire une représentation de ces stimulations.
  • La mémoire

« Capacité des organismes vivants et de certains artefacts à encoder, stocker, et retrouver de l’information. » (Guy Tiberghien, Directeur de recherches à l’Institut des Sciences Cognitives de Lyon)
Lorsque l’on dit étudier la mémoire - on parle aussi de ‘mécanismes mnésiques’ – on fait référence aux fonctions de conservation d’information dans le système nerveux. Ce maintien de l’information peut porter sur des évènements du monde et les représentations qui en ont été faites par l’esprit, comme sur des éléments issus plus directement d’états internes du corps.
Bien entendu il ne s’agit pas seulement d’identifier les mécanismes de stockage mais aussi de comprendre l’encodage de ces informations et les modes de récupération de ce qui est stocké.
Il s’agit bien entendu aussi de comprendre quelles sont les structures nerveuses mises en jeu dans ces mécanismes et de comprendre quels sont les rôles de chacune et comment elles assurent ce rôle.
Habituellement on distinguera trois types de mémoires : la mémoire à long terme (MLT), la mémoire à court terme (MCT), et la mémoire de travail (MDT).
La mémoire à long terme correspond à un maintien des informations (de tous types) sur des durées de plusieurs minutes à plusieurs années avec des capacités (en terme de quantité d’informations) illimitées ; on y trouve par exemple nos souvenirs d’enfance...
La mémoire à court terme fait référence à la capacité de conserver en mémoire un nombre limité d’éléments sur une courte durée (exemple : retenir un numéro de téléphone le temps de pouvoir le composer). Lorsque ces éléments sont ainsi maintenus dans l’optique d’être transformés ou mis à jour, on parlera de la mémoire de travail. La mémoire de travail désigne plus particulièrement des processus dynamiques d’actualisation des informations en mémoire et non seulement un stockage passif d’information (exemple : faire une suite d’additions dans sa tête).
On s’intéressera aussi aux mécanismses d’apprentissage, terme désignant plus particulièrement des processus de construction et d’acquisition de nouvelles connaissances durant la vie d’un organisme vivant.
  • Le langage

« Fonction naturelle, propre aux êtres humains, qui permet une communication fondée sur des représentations sémantiques, et qui sert de support à la pensée. Système construit de symboles dotés d’une syntaxe et d’une sémantique. » (Jean-François Le Ny, Professeur à l’Université de paris-Sud Orsay)
Entre dans ce champ la faculté qu’ont les humains de construire, d’apprendre et d’utiliser des systèmes de communication complexes : les langues. Ces systèmes de communication permettent la construction d’une quantité infinie de phrases.
Il s’agit donc pour les sciences cognitives de comprendre comment (et pourquoi) les humains ont développé cette faculté et de même, comment et pourquoi l’ont-ils progressivement fait évoluer depuis son apparition il y a des millénaires jusqu’à son état actuel.
Il s’agit aussi aux sciences cognitives d’expliquer :
  • Comment, pour pouvoir les mettre en pratique dans le discours au quotidien, les connaissances que nous avons au sujet des langues sont structurées dans le cerveau.
  • Comment notre système nerveux fonctionne pour apprendre une langue.  
  • Comment l’esprit s’y prend pour construire de nouveaux énoncés.
Il va de soi que les sciences cognitives s’attachent ici autant à l’étude de la compréhension du langage qu’à celle de sa production.
  • Le raisonnement

« Application de réflexion logique dans une situation d’argumentation ou de résolution de problème. » (Gérard Sabah, Chargé de recherche au LIMSI - Laboratoire d’Informatique Pour la Mécanique et les Sciences de l’Ingénieur LIMSI, CNRS)
On sait depuis longtemps que les humains, pour produire des réflexions et des raisonnements ne fonctionnent pas comme le feraient des super calculateurs c’est-à-dire en produisant toutes les solutions envisageables pour ensuite les confronter suivant une logique parfaite.
Le programme des sciences cognitives dans cette thématique est d’identifier les stratégies que les humains mettent en place pour faire des raisonnements. On parlera bien souvent des « heuristiques », concept renvoyant au fait qu’il existe des stratégies préconçues à partir de ce qui a été observé comme fonctionnant « la plupart du temps » ou tout autre façon « préconçue » que nous pouvons avoir de réagir à un événement.
Bien souvent c’est en y expliquant les erreurs de raisonnement logique que peuvent faire les humains, qu’on identifie la structure de leurs compétences à raisonner.
  • Les émotions

« Concept général employé pour décrire des états cognitifs particuliers incluant, entre autres, la peur, la colère, la joie, la tristesse, le dégoût, et la surprise. » (Rémy Versace, Professeur du Laboratoire d’Etudes des Mécanismes Cognitifs Université Lyon 2)
Les sciences cognitives tentent via cette thématique de comprendre quels sont les processus permettant à un organisme de construire des représentations (émotions) de la manière dont il est globalement affecté, à un certain moment, par l’ensemble de son activité interne ainsi que par les stimulations qu’il reçoit du monde extérieur. Dans ce cadre, les études portent souvent sur la reconnaissance de l’expression des visages, les manifestations physiques des émotions (rythme cardiaque, sueur,…), les perturbations cognitives induites par les émotions et au contraire l’apport des émotions dans la prise de décisions et le raisonnement.
  • La conscience

« La conscience est le pilote unique et universel qui gouverne l’ensemble des processus mentaux. ». (attribué à René Descartes, philosophe français du 17eme siècle)
La conscience est d’une certaine manière la connaissance immédiate qu’un sujet peut avoir de sa propre activité psychique, la perception de nos propres opérations mentales. On parlera d’un état conscient lorsque nous sommes capables de rapporter, d’expliciter à autrui l’existence d’un phénomène qui est survenu dans l’esprit. Cela ne suppose pas forcément de pouvoir décrire ce phénomène.
Cette thématique, après avoir été reniée et considérée comme ne pouvant pas être un objet d’étude pour la science, revient, depuis la fin des années 80, au cœur même des problématiques sur lesquelles se penchent les Sciences Cognitives. Et le premier travail (le plus laborieux sans doute) des sciences cognitives sur ce sujet est de définir ce qu’est la conscience.
Il s’agit en tout cas à minima aux Sciences Cognitives de comprendre pourquoi certains phénomènes sont conscients tandis que d’autres demeurent inconscients.
Y a-t-il une zone du cerveau qui serait déterminante pour que des éléments passent en conscience ? Faut-il effectuer un traitement particulier de l’information pour qu’elle amène à une expérience consciente, c’est-à-dire à une expérience personnelle dont nous pourrions communiquer l’existence aux autres ? Si oui, quel est ce traitement ? La conscience est-elle ce qui émergerait d’un ensemble d’éléments qui, activés simultanément et dont le niveau d’activation aurait dépassé un certain seuil, à un moment donné, constitueraient un état de conscience ? La conscience serait-elle l’ensemble des représentations les plus élaborées, résultantes des seuls traitements de l’information qui soient suffisamment aboutis ?
Ce sont autant de questions qui appartiennent au programme des Sciences Cognitives en matière de conscience.
Il n’en demeure pas moins que les premiers débats sur ce thème ont souffert de la multiplicité des sens qui lui furent attribués. Rentrent sous cette étiquette différents stades :
  • la conscience – attention, éveil ou vigilance ou conscience ‘anoetic’ : être conscient c’est percevoir et être attentif à ce qui nous entoure ; il convient donc d’étudier ici les différents degrés de concentration au monde qui nous entoure.
  • la conscience – pensée ou conscience ‘noetic’ : mobiliser des représentations symboliques, idées, images mentales puis les manipuler pour analyser, comparer, réfléchir et ainsi organiser ses activités ou résoudre des problèmes.
  • la conscience réfléchie ou méta-conscience : c’est la capacité introspective ou la capacité que l’on peut avoir de penser à nos pensées, de réfléchir sur nos propres activités mentales
  • la sensibilité – subjectivité : ressentir des émotions, éprouver des sentiments c’est-à-dire que le système nerveux sait qu’il est dans un état interne particulier.
  • la conscience de soi ou conscience ‘autonoetic’ : capacité à se reconnaître soi-même comme étant une personne unique ayant une identité et une histoire particulière. « Je pense donc je suis. »
Les définitions que nous avons tenté d’apporter ici peuvent apparaître à certains comme imprécises, incomplètes, sujettes à débats et critiques, voir carrément fausses ; nous nous ne prétendons pas que ces définitions sont sans reproche. Elles sont là pour éclairer ceux qui découvrent les Sciences Cognitives sur les objectifs des Sciences Cognitives ; objectifs qui sont illustrés au travers d’exemples thématiques tirés de ce grand domaine scientifique.

Article écrit par F-X Pénicaud (2007)